C'est un très long texte rédigé par nos sœurs de la Maison de l'Inspir qui veut résumer les enseignements offerts par notre cher Thay (le maître Zen Vietnamien Thich Nhat Hanh) au cours de la retraite d'hiver 2013-2014 et des 21 jours de la retraite de juin 2014 et publié sur leur blog
http://maisondelinspir.org/2014/06/nous-sommes-lune-et-etoiles.html
pendant laquelle il avait repris son enseignement sur les 8 consciences offert dans ce livre...
en les approfondissant et en y apportant même des modifications importantes suite à ses propres recherches et méditations.
J'avais moi même été très intéressé par ce livre et par les enseignements de cette retraite que j'avais suivis à la maison, à partir des fichiers mp3 sur le site de Lang Mai.org et pris pas mal de notes reportées sur l'annexe de ce blog (voir ici)
Ces enseignements sont assez difficiles à suivre et à comprendre dés qu'on veut les approfondir au delà des bases (expliquées ici de manière limpide et magistrale par notre sœur Giac Nghiem au cours d'un enseignement qu'elle avait offert à la maison de l'Inspir)
ce texte "Nous sommes lune et étoiles" de nos sœurs veut nous y aider. Merci chères sœurs, gratitude!
Pour en avoir pour moi même, une vision plus claire, j'ai repris ce texte où j' ai complété en bleu certains passages ou simplement mis un titre, une phrase ou un mot... ou mis en gras certains passages du texte
et l'ai scindé en plusieurs parties dont voici la première:
Mais tout d'abord, avant d'en commencer la lecture, il me faut préciser que les 8 consciences ne font pas partie des enseignements originels; cela n'est apparu que bien après la mort du Bouddha, au 4eme siècle après Jésus Christ avec l’école Cittamātra et ses fondateurs Asanga et Vasubandhu.
Les enseignements originels du Bouddha dans le canon Pali ne faisaient état que de 6 consciences ...
Voila ce qu'écrit wikipedia:
Alors que l'Abhidhamma (qui fait partie de la première roue du Dharma)
ne distinguait que six consciences : les cinq consciences sensorielles
et la conscience mentale, l'école Cittamātra en distingue huit. Elle
rajoute aux six consciences précédentes la « conscience mentale
souillée » et la « conscience base-de-tout » ou Ālayavijñāna.
La conscience mentale souillée est celle qui pose problème pour les
Cittamātra : c'est elle qui crée la dualité sujet/objet et crée du karma. Elle peut, cependant, être éduquée par les enseignements et son action peut être ralentie par la pratique de la méditation, ce qui permet de ralentir la tendance de l'esprit à tout découper en sujet/objet.
L'Ālayavijñāna
est le réceptacle des traces karmiques (vāsāna). Lorsque ces traces
karmiques mûrissent, cela active la « conscience mentale souillée » qui
découpe la réalité de façon dualiste avec des objets et un sujet, un
« soi », qu'elle identifie à l'Ālayavijñāna. Les semences mûrissent en objets apparents et les six premières consciences se déploient pour les appréhender1. La septième conscience est active, l'Ālayavijñāna est inactive. La septième conscience engendre les nouvelles traces karmiques (vāsāna) qui sont déposées dans l'Ālayavijñāna.
La notion d'Ālayavijñāna et le découpage en huit consciences apparaissent dans le Samadhiraja Sutra (en) (Sūtra du dévoilement du sens profond) et le Lankāvatāra sūtra (Sūtra de l'Entrée à Lankâ).
https://fr.wikipedia.org/wiki/Chittamatra#%C4%80layavij%C3%B1%C4%81na
l'Abhidhamma c'est "la 3eme corbeille" du Tipiṭaka (voir ici) ou (ici) constituée de l’ensemble des textes composés d’après les
paroles du Bouddha, ou de ses proches disciples. Ces textes sont en
langue Pali, un langage très proche des dialectes qu'utilisait le
Bouddha lui-même.
Ālayavijñāna ou Ālaya ou Conscience du tréfonds: sont des mots équivalents,
ceci précisé, place au texte de nos sœurs !
Nous sommes lune et étoiles
Rédigé
par Maison de l'Inspir :
La
lune et les étoiles sont la conscience
Nous
sommes lune et étoiles
Résumé
des principaux enseignements de la Retraite d’Hiver 2013-2014
et
de la Retraite de Juin 2014 (version provisoire)
Pour commencer quelques notes de méthodologie pour nous aider à voir la nature illusoire des choses et des noms :
Les
quatre méthodes d’investigation (paryeṣaṇa)
Les
quatre méthodes d’investigation visent à aider les pratiquants à
voir la nature illusoire des noms (nāma),
des choses (vastu),
des natures propres (svabhāva-prajñapti)
et des différences (viśeṣa-prajñapti),
pour qu’ils puissent expérimenter que ces quatre éléments sont
des constructions mentales. Le mot sanskrit paryeṣaṇa
signifie investigation, étude, réflexion, contemplation, recherche…
Ces quatre méthodes d’investigation sont évoquées dans le
Mahāyāna-saṃgraha-śāstra de Maître Asanga.
La
première méthode d’investigation est l’investigation
des noms
(nāma-paryeṣaṇā).
Les
noms ont pour fonction de nous aider à visualiser les choses, mais
ils ne sont pas les choses elles-mêmes. Les choses peuvent changer à
chaque instant et pourtant, les noms restent les mêmes. Les choses
sont composées de différents éléments mais les noms ne nous
aident pas à visualiser ces composants. Ainsi, en méditant sur les
noms, il faut voir simplement les noms, surtout sans prendre les noms
pour les choses elles-mêmes. Le nom vase
sert à désigner le vase. En ce qui concerne le nom, vase
ne peut désigner que le vase et non pas autre chose comme bol,
assiette, argile, porcelaine, feu, eau, travail du potier, etc. Le
nom vase
élimine tous ces autres éléments, et pourtant, entre le vase et
ces autres éléments, la relation de coproduction conditionnée est
tellement étroite que le vase n’existerait pas sans eux. C’est
pourquoi les noms conduisent aussi à l’élimination (apoha)
et ne peuvent pas être assimilés complètement aux choses.
La
deuxième méthode d’investigation est l’investigation
des choses
(vastu-paryeṣaṇa).
En méditant sur les choses, il faut voir simplement les choses sans
se laisser emprisonner par leurs noms, car les choses sont
impermanentes, conditionnées par la coproduction et par l’inter-être
tandis que leurs noms ne le sont pas. En regardant profondément les
choses, nous pouvons voir leur nature de coproduction conditionnée,
d’inter-relation et d’inter-être.
La
troisième méthode d’investigation est l’investigation
des natures propres, désignations conventionnelles
(svabhāva
prajñapti-paryeṣaṇa)
pour voir que la nature propre des choses n’existe pas vraiment
mais qu’elle est simplement une illusion, une notion, une
construction mentale. D’abord, c’est la nature des noms. Les noms
ne sont que noms et n’ont pas de nature véritable. Ce sont des
désignations conventionnelles (prajñapti).
Ensuite, c’est la nature des choses. Or, les choses n’ont pas de
nature véritable et propre ; elles ne sont que des compositions
temporaires de différents éléments. Les choses aussi ne sont que
des désignations conventionnelles.
La
quatrième méthode d’investigation est l’investigation
des différences, désignations conventionnelles
(viśeṣaprajñapti-paryeṣaṇa).
C’est la méditation sur la différence et l’opposition entre les
noms et les choses pour comprendre que ceux-ci se différencient et
s’opposent en surface mais en profondeur, ils dépendent les uns
des autres pour se manifester, comme le long et le court, le gauche
et le droit, l’intérieur et l’extérieur, le sujet et l’objet,
l’être et le non-être, la naissance et la mort, etc. D’abord,
c’est la différence et l’opposition en surface entre les noms,
mais en réalité, ils s’appuient les uns sur les autres pour se
former. Par exemple, sans le nom long,
il n’y aurait pas de nom court,
il en est de même pour les noms intérieur
et extérieur,
noumène
et phénomène,
naissance
et mort…
Ensuite, c’est la différence et l’opposition entre les choses
comme matière et énergie, créateur et créature, affliction et
éveil, bonheur et souffrance. Ces différences et oppositions dans
la forme ne sont que des conventions. Leur nature est symétrique,
inter-être, interdépendante. Sans afflictions, il n’y aurait pas
d’éveil ; sans souffrance, il n’y aurait pas de bonheur ; sans
boue, il n’y aurait pas de lotus… C’est pourquoi toutes ces
paires d’opposés (symétriques) sont des désignations
conventionnelles. La différence de désignations conventionnelles
(viśeṣaprajñapti)
ici est la nature symétrique de toutes choses évoquée dans le
chapitre Dharmakāya
du Soutra Laṅkāvatāra
(Taisho #671).
Nous
avons tendance à croire que dans la dimension historique, les
phénomènes sont différents dans la forme, mais que dans la
dimension ultime, tout partage la même nature, même si cette nature
(svabhāva)
n’est pas solide comme un soi mais est interrelation (paratantra),
plénitude véritable (pariniṣpanna)
ou ainsité. Cette croyance nous conduit à l’idée d’unité.
Et cette unité
est quelque chose d’opposé à diversité.
Nous sommes alors emprisonnés encore dans la dernière paire
d’opposés : unité et diversité. C’est pourquoi l’étude de
la Manifestation Seule nous aide à méditer sur les trois
non-natures pour faire face aux trois natures : construction mentale
(parikalpita),
interrelation (paratantra)
et plénitude (pariniṣpanna)
pour nous libérer de la notion d’unité. En même temps, l’étude
de la Manifestation Seule nous guide dans la méditation sur la
différence, l’interrelation pour nous libérer de la notion de
différence. Ces quatre méthodes d’investigation sont donc très
complètes en ce qui concerne la signification des enseignements.
Les
quatre méthodes d’investigation ou les quatre méthodes de
contemplation de la Manifestation Seule correspondent parfaitement à
la vision profonde des enseignements du Bouddha du temps du
bouddhisme originel jusqu’au Mahayana. Mais en ce qui concerne leur
utilité, elles sont encore très théoriques. Le but de la pratique
n’est pas la démonstration d’une telle vérité, y compris la
vérité de la Manifestation Seule, mais la transformation. Ainsi, il
nous faut encore rendre ces quatre méthodes plus applicables en
utilisant les concentrations de l’impermanence, du non-soi, de la
coproduction conditionnée pour éclairer les problèmes concrets du
quotidien : afflictions et éveil, souffrance et bonheur, naissance
et mort, être et non-être, bouddha et être ordinaire, ami et
ennemi, moi et autrui, etc. pour arriver à un bouddhisme appliqué
dans la vie de tous les jours.
voir leur nature illusoire, et aussi voir leur interdépendance (inter être) et surtout les mettre en pratique
Les
Cinq Couches de Contemplation de la Manifestation Seule
Dans
la période de développement de la compréhension de la
Manifestation Seule, Maître Khuiji, disciple de Maître Xuanzang,
décrit les Cinq Couches de la Contemplation de la Manifestation
Seule. Encore influencées par la vue dualiste, celles-ci sont très
théoriques et contraires aux principes de la coexistence
comme base
(sahabhūtāśraya)
et des semences
comme base
(bījāśraya)
de la Manifestation Seule.
La
première couche de contemplation est l’élimination
de l’illusoire et la conservation du vrai.
L’illusoire ici est la vue discriminante selon laquelle le soi et
les phénomènes sont des identités séparées, capables d’exister
par elles-mêmes sans avoir besoin de causes et de conditions. Le
vrai ici est la vision profonde de l’interrelation (paratantra)
selon laquelle tous les phénomènes dépendent les uns des autres
pour se manifester : parce que ceci existe, cela existe ; si ceci
n’existe pas, cela n’existe pas. L’illusoire signifie trompeur,
inexistant. Le vrai signifie existant. Les notions d’être et
non-être sont encore maintenues mais elles ne servent pas seulement
à désigner le soi et le phénomène mais à parler de la nature
illusoire
et vraie
de la perception.
La
deuxième couche de contemplation est
l’élimination du superflu et la conservation du nécessaire et de
l’authentique.
Le superflu ici est l’objet de la perception, l’objet de la
conscience, ce qui est perçu par la conscience (nimittabhāga),
c’est-à-dire la partie symétrique au sujet de la conscience
(darśanabhāga).
Selon les Cinq Couches de Contemplation de la Manifestation Seule,
l’objet de la conscience est fait du sujet de la conscience, du
témoin propre de la conscience (svasaṃvittibhāga)
et du témoin du témoin propre de la conscience. Même si cet objet
de la conscience est une condition (ālambanapratyaya),
il existe grâce aux autres éléments, c’est pourquoi il n’est
pas vraiment nécessaire. Ceci s’oppose au principe de la
coexistence comme base (sahabhūtāśraya)
et de la symétrie. Cette tendance à considérer que le sujet de la
conscience peut exister indépendamment de l’objet de la conscience
est contraire même à l’étude de la Manifestation Seule.
La
troisième couche de contemplation est le
rapprochement du sommet pour le retour à la racine.
Le sommet est l’objet et le sujet de la perception (darśanabhāga
et nimittabhāga),
qui se manifestent en surface et ne sont donc pas vrais. Ne restons
pas emprisonnés par eux, il faut les quitter pour retourner à la
base, aux racines, c’est-à-dire au témoin propre de la
conscience. Cette pensée reflète l’intention de suivre la forme
(lakṣaṇa)
pour pénétrer la nature véritable (svabhāva),
de passer du monde des phénomènes au monde des noumènes. Elle
porte donc encore la vision dualiste en elle. La nature véritable
(svabhāva)
que nous recherchons peut se trouver dans la forme. Faut-il éliminer
la forme pour trouver la nature ?
La
quatrième couche de contemplation est faire
ressortir l’important en cachant ce qui n’est pas important.
Ce qui n’est pas important ici est la formation mentale (citta)
et l’important est le roi des formations mentales (cittaråja).
Cette vue est aussi dualiste. Nous devrions voir le roi des
formations mentales dans les formations mentales elles-mêmes. En
dehors des gouttes d’eau, existe-il un fleuve séparé ?
La
cinquième couche de contemplation est quitter
la dimension historique pour vivre dans la dimension ultime.
Ici, la vue dualiste reste encore dominante. Faut-il abandonner le
monde des phénomènes pour voir le monde ultime ? Si les phénomènes
sont éliminés, l’ultime ne sera plus là non plus.
Ces
Cinq Couches de Contemplation reflètent seulement l’intention de
suivre la forme pour pénétrer la nature des choses, mais la méthode
proposée n’est pas pratique et s’oppose au principe fondamental
de la Manifestation Seule sur des semences et la coexistence comme
base.
là c'est un peu trop intellectuel pour moi ... j'ai compris qu'il y a une vue dualiste à transcender...
La suite : l'Abhidharma et l'évolution de la pensée bouddhiste... voir mes observations du début de la page...
Du
corps de la conscience à la conscience du tréfonds
L’apparition
de la littérature d’Abhidharma commence par un travail de recueil,
de numérotation (par exemple, les Quatre Nobles Vérités, les cinq
skandhas ou agrégats, les Sept Facteurs d’Eveil, etc.) et
d’explication des termes bouddhistes. L’Abhidharma vise à
éclaircir la signification de ces termes. Signification ici veut
dire signification des enseignements.
Ce
travail débute environ du début du 1er siècle avant J.C au 1er
siècle après J.C. Il se poursuit avec la systématisation des
enseignements du Bouddha, jusque là disséminés et non structurés
dans des soutras. Les œuvres d’Abhidharma qui suivent quelques
centaines d’années après visent toutes à les systématiser. Nous
pouvons donc définir l’Abhidharma comme le Dharma systématisé.
Les
auteurs de l’Abhidharma manifestèrent une très forte tendance à
analyser et à expliquer car ils pensaient que plus ils pousseraient
leur analyse des enseignements, plus ils contribueraient à leur
compréhension en profondeur. Plus de vingt écoles bouddhistes
existaient à cette époque et chacune d’elles mit au point ses
œuvres propres d’Abhidharma. Deux écoles seulement ont conservé
leurs œuvres intactes jusqu’à nos jours : le Sārvastivāda et le
Vibhajyavāda. La première s’est installée au Cachemire durant
mille ans. La seconde a migré au Sri Lanka et reprit pour nom le
Theravāda (l’École des Anciens). La littérature d’Abhidharma
de ces deux écoles a connu son apogée au 5ème siècle après J.C
environ.
Le
Mahāvibhāṣāśāstra de l’école Sārvastivāda rassemble tous
les enseignements du Bouddha. Il constitue une œuvre gigantesque qui
a nécessité un travail analytique considérable et a permis un
développement au plus haut niveau des enseignements du Bouddha.
Selon la légende, c’est pendant le règne du roi Kaniṣka que le
vénérable Pārśva réunit 500 arhats pendant douze ans pour ce
travail. Outre la rédaction d’un commentaire sur le Jñānaprasthāna
et la systématisation de la philosophie de l’école Sārvastivāda
: passé,
présent et avenir sont tous réels, la nature des phénomènes est
immuable,
le Mahāvibhāṣāśāstra constitue aussi une critique des
philosophies des autres écoles y compris celui du Mahāsanghika, du
Dharmagupataka, du Mahīśāsaka, du Kāśyapīya, du Sammītiya et
du Vibhajyavāda… ainsi que des systèmes de pensées
philosophiques non bouddhistes comme le Sāmkhya, le Nyāya, le
Vaiśeṣika et le Jaïnisme. Ce travail effectué par les
Sarvāstivādin a influencé les enseignements du Mahāyānā d’où
l’apparition de l’Abhidharma du Mahāyānā avec des commentaires
de tendance phénoménologique (dharmalakṣaṇa).
C’est ainsi que l’école de yoga bouddhiste, Yogācāra, est née,
avec des maîtres extra-ordinaires tels qu’Asanga et Vasubandhu.
Bien que le Mahāyānābhidharmasūtra n’existe plus, il en reste
des traces sous forme de citations dans de nombreuses œuvres de
l’école bouddhiste Yogācāra.
Le
Mahāvibhāṣāśāstra a poussé l’analyse et multiplié les
commentaires à tel point que les érudits se sont sentis submergés.
C’est pourquoi, afin de satisfaire les besoins des jeunes érudits,
des collections d’Abhidharma plus concises furent élaborées.
Parmi elles, l’Abhidharmakośaśāstra de Vasubandhu fut la plus
brillante. En compilant cette œuvre, Vasubhandu a été fortement
influencé par l’école Sautrāntika ainsi que par le Mahāyānā.
Son frère aîné, Asanga, écrivit le Mahāyānasaṃgrahaśāstra.
C’est une œuvre d’Abhidharma du Mahāyāna dans laquelle la
conscience du tréfonds (l’alaya) est mentionnée comme le
fondement et la cause première de tout ce qui est. Dans l’école
de pensée de Sarvastivada, se trouve déjà le concept de corps
de
la conscience (vijñānakāya),
équivalent à la conscience du tréfonds. Ce terme existe déjà
dans des soutras (Smyuktagama 298) et fut développé par Maître
Devaśarman de l’école Sarvāstivāda dans son œuvre intitulée
l’Abidharmavijñānakāyapadaśāstra.
Ici on commence vraiment l'étude de la conscience du tréfonds ...
La
lune et les étoiles sont conscience
La
conscience du tréfonds, l’alaya, a pour fonction de conserver
toutes les potentialités, les semences qui se sont manifestées, se
manifestent et se manifesteront sous la forme du monde, de l’univers,
de toutes les espèces vivantes (sendriyakāya)
et de leur environnement (bhājanaloka).
Se manifester pour être perçu. Du fait que le tréfonds est
conscience, l’objet du tréfonds est l’univers. Le monde, la vie
et l’environnement sont également conscience. La lune et les
étoiles sont conscience. Nous sommes aussi la lune et les étoiles.
De même tout ce que nous percevons par les sens et la conscience
mentale est le tréfonds. Cette perception est-elle correcte ou
erronée ? C’est là la question.
Il n'y a donc dans la conscience du tréfonds, et contrairement à ce que j'avais compris jusqu'à présent, pas que nos graines de souffrance ou de bonheur, mais tous les phénomènes existants, et même l'univers tout entier ...
Le
bouddhisme Mahāyāna parle de trois sortes de coproduction
conditionnée : la coproduction conditionnée par l’ainsité, celle
conditionnée par le monde des phénomènes (dharmas) et celle
conditionnée par le tréfonds.
La
coproduction conditionnée de l’ainsité
signifie
que toute chose se manifeste à partir de la réalité en soi
(l’ainsité, tathatā
en
sanskrit), ainsi en est-il des nuages qui se manifestent à partir de
l’océan. En effet, si nous regardons profondément dans les
nuages, nous voyons l’océan. Sans l’océan, pas de nuages. C’est
la relation entre le monde des phénomènes et le monde des noumènes
(ontologique).
La
coproduction conditionnée du monde des phénomènes
(dharmas)
signifie que tous les phénomènes dépendent les uns des autres pour
se manifester. Les nuages, la neige, la pluie, la glace, la vapeur
d’eau… dépendent les uns des autres pour continuer à exister.
C’est une relation inter-phénomènes. Nous pouvons dire que la
coproduction conditionnée de l’ainsité est une relation verticale
et la coproduction conditionnée du monde des phénomènes, une
relation horizontale. Le monde des phénomènes est le domaine de
tout ce qui est, c’est-à-dire des dharmas.
La
coproduction conditionnée du tréfonds
signifie
que tous les phénomènes proviennent du tréfonds, la conscience du
tréfonds. Elle est similaire à la coproduction conditionnée de
l’ainsité : c’est une relation verticale entre le monde des
phénomènes et le monde des noumènes. La différence entre la
coproduction conditionnée du tréfonds et la coproduction
conditionnée de l’ainsité est que le tréfonds est conçu comme
la conscience et l’objet de la conscience. À la lumière des
enseignements de la Manifestation Seule, l’ainsité (la réalité
ultime) est aussi conscience et non pas quelque chose qui existe hors
de la conscience. Le tréfonds, la totalité de toutes les
potentialités, de toutes les graines, peut être également comparé
à l’océan qui permet la manifestation de tous les nuages dans le
ciel, symboles ici des cinq agrégats (skandhas),
des douze sphères (āyatanas)
et des dix huit domaines d’existence (dhātus).
Tous les phénomènes dépendent les uns des autres pour se
manifester : la coproduction conditionnée du monde des phénomènes.
Et tous les phénomènes se manifestent à partir de l’entrepôt
des semences du tréfonds : la coproduction conditionnée du
tréfonds.
Le tréfonds contient tous les phénomènes...
l'ainsité ou la réalité ultime ce sont les choses telles qu'elles sont
Les
semences se manifestent comme phénomènes manifestés ou phénomènes
en circulation. Les phénomènes manifestés sont précisément des
formations (saṃskāra)
; elles se manifestent lorsque causes et conditions sont réunies
pour ce faire, comme les montagnes, les fleuves, les fleurs, le
pamplemoussier, etc. Comme elles se manifestent en coproduction
conditionnée, les formations ne possèdent pas de nature propre
(svabhāva)
et
séparée, elles n’existent pas vraiment et ne sont pas pour autant
non-existantes. Ainsi, leur nature est ni être ni non-être. Les
phénomènes tels que soi (ātman)
et
chose (dharma)
n’ont pas de nature propre, leur nature est vide (śūnya),
ce sont donc des désignations conventionnelles (upacāro).
C’est ce que Vasubandhu présente dès le premier des Trente
Versets de la Manifestation Seule. Bien
que les formations n’aient pas de nature propre et qu’elles
soient vides, elles n’en demeurent pas moins merveilleuses : depuis
les nuages argentés, la lune dorée jusqu’aux cinq agrégats, tous
sont des manifestations du corps du Dharma, libres des notions de
naissance et de mort, de pureté et d’impureté. Seuls le manas et
la conscience mentale (manovijñāna),
encore voilés, nous font voir ces formations comme des soi et des
phénomènes dotés d’une nature propre et séparée.
Leur nature est ni être ni non-être... et est sans soi séparé
L’objet
du tréfonds est l’ainsité
L’objet
du tréfonds est la chose en soi (svalakṣaṇa),
la réalité telle qu’elle est. La chose en soi est alors
l’ainsité. Comme l’ainsité est l’objet du tréfonds, le
tréfonds ne peut pas être une conscience de perceptions erronées
et c’est pourquoi il est considéré comme non-voilé (par des
perceptions erronées). De ce fait, il n’a pas besoin d’être
transformé. Il n’est pas juste de dire qu’à l’étape de
l’arhat, le tréfonds n’est plus. Au
stade de l’arhat, le tréfonds est relâché
(vyāvṛttir
arhatve),
devrait être compris simplement comme le fait que l’arhat peut
voir le tréfonds tel qu’il est et non plus comme moi
ou mien.
La transformation ici n’est pas la transformation du tréfonds
mais la transformation des consciences évolutives, c’est-à-dire
le manas, la conscience mentale (manovijñāna)
et les cinq consciences sensorielles. Comme le tréfonds a une
perception directe, il est directement en contact avec l’ainsité,
c’est pourquoi il coopère toujours avec la formation mentale de la
vision profonde. Le tréfonds conserve les expériences. Son objet
est également le réservoir de la mémoire, capable d’emmagasiner
et d’accéder aux données. Par conséquent, il coopère toujours
avec la formation mentale de la pleine conscience (smṛti).
Le tréfonds est le sol où les koans zen sont enterrés, et peut
offrir le fruit de l’éveil soudain. Ainsi, le tréfonds coopère
également avec la formation mentale de la concentration. Il ne se
perd pas dans la dispersion comme la conscience mentale, il est
toujours dans la concentration. Selon l’école Sthaviravāda, les
formations mentales universelles incluent la concentration (ekaggatā)
et l’élan vital (jīvitendriya).
Le tréfonds conserve les expériences. Il est non voilé et donc n'a pas besoin d’être transformé... Thay corrige dans cette partie certaines affirmations des maîtres de cette école...
Le
tréfonds est maturation, c’est la capacité à entretenir la vie.
Il garantit la continuation du cours de la vie, c’est pourquoi il
coopère toujours avec la formation mentale de l’élan vital, car
l’élan vital est la force de vie, la motivation à la base de
l’inter-continuation.
Passage très important ! L'élan vital est la 52eme formation mentale (sur les 51 que le bouddhisme mahayana recense) c'est un des "facteurs mentaux" du bouddhisme Théravada (voir ici) et Thay l'a rajoutée aux formations mentales universelles...
Le
Volume III du Vijñaptimātratāsiddhi de Maître Xuanzang évoque
deux dimensions du tréfonds : affliction (āsrava)
et non-affliction (anāsrava
: écoulement).
Quand le tréfonds est avec afflictions, il est neutre et coopère
seulement avec cinq formations mentales universelles ; sa fonction
est alors de garder les semences, le corps avec ses cinq organes
sensoriels et l’environnement. Quand le tréfonds est sans
afflictions, il n’est plus neutre, devient bénéfique et pour
cette raison, outre les cinq formations mentales universelles, il
coopère aussi avec les onze formations mentales bénéfiques. Sa
fonction est de prendre tous les phénomènes comme objet de la
perception. Or, ceci ne peut pas être correct. Le tréfonds, dans le
moment présent, a pour objet l’ainsité et tous les phénomènes
parce qu’il est le fondement de tous les phénomènes. Il est
non-voilé, c’est la Sagesse du Grand Miroir Parfait capable
d’éclairer toutes choses. Neutre, il est au-delà des idées du
bien et du mal, de pur et d’impur, d’être et de non-être,
d’affliction (āsrava)
et de non-affliction (anāsrava).
Si le tréfonds est ainsi ramené au niveau du bon par opposition au
mauvais ou au niveau de non-affliction opposé à affliction, nous
perdons la vision profonde de sa nature neutre et non-voilée. Il
s’agit là d’un recul et non d’un progrès. La lune et les
étoiles sont des manifestations merveilleuses au-delà des notions
de bon, de mauvais, de pur et d’impur, de souffrance et de bonheur.
Si nous obligeons la lune et les étoiles à prendre le parti du bon,
du pur, du bonheur, n’est-ce pas les pauvres, les priver de leur
véritable nature ?
Thay revoit encore dans tout ce passage, les enseignements de ce maître ...
Un
jour, la question suivante a été posé à Tuệ Trung Thượng Sĩ,
l’éminent Maître Zen vietnamien du 13e siècle :
-Qu’est-ce
que le corps du Dharma immaculé ?
-Entrer
et sortir d’une flaque d’urine de buffle,
Contempler
un tas de crottin de cheval, répondit-il.
Si
c’est le corps du Dharma, nous ne pouvons pas le qualifier de pur
ou impur. Le tréfonds est neutre. Il ne supporte pas d’étiquette
de souffrance ou de non-souffrance : ces concepts ne sont que des
constructions mentales.
Tous
les dharmas dépassent les concepts d’être et de non-être
Dans
le Soutra Katyāyāna (Samyuktāgama 301), le Bouddha explique à
Katyāyāna que la vue juste dépasse les deux notions d’être et
de non-être. L’objet du tréfonds est la réalité en soi, la
réalité ultime. Cette réalité ne peut être donc connue comme
être ou non-être, bonne ou mauvaise, pure ou impure. C’est aussi
la vision profonde exposée dans le Sutra du Cœur. Ainsi, les
semences maintenues dans le tréfonds sont de même nature que lui :
ni bonnes ni mauvaises, ni pures ni impures (neutres), ni une ni
plusieurs, ni individuelles ni collectives, ni être ni non-être.
Les caractéristiques des semences peuvent être alors classées
comme suit :
- 1.
Elles sont impermanentes à chaque instant (au lieu de disparaître
à chaque instant selon les caractéristiques décrites
traditionnellement) ;
- 2.
cause et effet sont indissociables : la cause ne peut pas être ôtée
de l’effet ;
- 3.
elles coulent et continuent toujours en séries, cinématographiques
(bien qu’elles soient impermanentes à chaque instant et dépourvues
d’un soi séparé) ;
- 4.
elles sont neutres (au lieu d’être déterminées) ;
- 5.
elles attendent les conditions pour se manifester (elles dépendent
l’une de l’autre pour se manifester) ;
- 6.
elles ne sont ni être, ni non-être,
- 7.
ni intérieures ni extérieures,
- 8.
ni nouvelles ni anciennes,
- 9.
ni pures ni impures,
- 10.
ni identiques ni différentes,
- 11.
elles ne viennent ni ne partent ;
- 12.
elles ne sont ni individuelles ni collectives.
Ni pure ni impure, ni croissante ni décroissante... ni être ni non être... cela me fait penser au sutra du cœur qui lui aussi a été revu par Thay
Selon
les enseignements traditionnels de la Manifestation Seule, chaque
semence donne
naissance
à son propre fruit, ce qui n’est pas admis ici car ceci est
seulement vrai d’un point de vue conventionnel à la lumière de la
coproduction conditionnée, de la génétique et de la nature neutre.
La nature neutre est aussi la nature biologique. Le bien, le mal, le
pur et l’impur sont tous biologiques.
L’un
des caractéristiques fondamentales des semences est qu’elles sont
indissociables de leurs fruits. Bien que le nuage soit nuage, il est
aussi vapeur d’eau qui s’élève de l’océan et dans le nuage
se trouve l’océan. Dans l’effet se trouve la cause, et dans la
cause se trouve déjà l’effet. Cause et effet sont indissociables.
C’est l’unité de cause et d’effet. Chaque perception des
agrégats, des sphères (āyatanas)
et des domaines d’existence (dhātus)
contient l’ainsité, tout comme le nuage contient l’océan.
Deux
des six caractéristiques évoquées dans le Vijñaptimātratāsiddhi,
doivent être réexaminées : la nature déterminée et le fait que
chaque semence donne naissance à son propre fruit. Ces deux
caractéristiques appartiennent à la vérité conventionnelle.
Nous
devons conserver les caractéristiques suivantes : impermanentes
à chaque instant, indissociables de leurs fruits, coulent et
continuent toujours en séries (cinématographiques), et attendant
les conditions pour se manifester,
car celles-ci sont entièrement en accord avec les enseignements de
base du Bouddha. Disparaître
à chaque instant, selon les caractéristiques décrites
traditionnellement, signifie l’impermanence. Si les semences sont
impermanentes, elles doivent être dépourvues d’un soi. Bien que
les phénomènes soient impermanents à chaque instant et dépourvus
d’un soi, ils ne sont pas pour autant des phénomènes séparés
sans continuité. Ils ressemblent aux particules subatomiques qui se
rassemblent constamment pour former une série de phénomènes. Les
phénomènes s’enchaînent les uns après les autres comme une
série même s’ils ne sont pas des identités séparées. Cette
série est comme un courant d’inter-continuation (santati),
elle nous donne l’impression qu’il existe quelque chose de
permanent, d’immuable, ayant un soi séparé. Mais quand nous
regardons en profondeur, nous voyons que tout change à chaque
instant, que tout est impermanent et dépourvu d’un soi séparé.
Couler
et continuer toujours en séries
(cinématographique)
est donc une caractéristique très importante.
Attendant
les conditions pour se manifester
est
une autre caractéristique fondamentale des semences. Quand les
conditions sont suffisantes, les semences se manifestent pour être
perçues comme des formations manifestées. Parmi ces conditions se
trouvent les conditions de soutien et les conditions de
non-interruption.
Les
semences dans le tréfonds sont neutres comme le tréfonds lui-même
La
nature déterminée
des semences décrite traditionnellement doit être réexaminée : si
le tréfonds est neutre, les semences du tréfonds doivent être
neutres aussi en principe, c’est-à-dire qu’elles ne sont ni
bonnes ni mauvaises. La nature des semences doit alors dépasser le
bien et le mal, autrement dit, elle doit être neutre. Si l’objet
du tréfonds est l’ainsité, la chose en soi, sa nature n’est
donc ni bonne ni mauvaise, ni pure ni impure.
La nature des semences ne sont ni bonnes ni mauvaises... et c'est là que je ne comprends plus, nos formations mentales qui en sont issues si ces graines sont arrosées étant soit bénéfiques soit non bénéfiques ...
Le
Vijñaptimātratāsiddhi de Maître Xuanzang définit neutre
comme suit : vyākṛata
signifie que la nature est déterminée comme bonne ou mauvaise.
Le bon et le mauvais sont perçus sur la base de la question :
causent-ils la souffrance ou le bonheur, des sensations agréables ou
désagréables ? C’est ainsi que les phénomènes sont discernés.
Comme le tréfonds n’est ni bon ni mauvais, il est neutre.
Le
Mahāvibhāṣāśāstra relève cinq types d’inter-continuation
(santati)
:
-
l’inter-continuation
intermédiaire (antarābhavasantati)
;
-
l’inter-continuation
de renaissance (upapattibhavasantati)
;
-
l’inter-continuation
périodique (enfance, jeunesse, âge adulte et vieillesse) ;
-
l’inter-continuation
de la nature du dharma (bénéfique, non-bénéfique ou neutre) ;
-
l’inter-continuation
temporaire (kṣanikasantati).
L’inter-continuation
de la nature du dharma se
définit par le fait que le bon peut être affecté par des
conditions et devenir mauvais ou neutre, que le neutre peut devenir
bon ou mauvais et que le mauvais peut devenir neutre ou bon à cause
des conditions.
Selon cette définition, la nature comme toute chose
est impermanente et changeante, il est ainsi impossible d’affirmer
que la nature des semences est déterminée. Le tréfonds étant
défini comme neutre, les semences doivent l’être aussi. Les
notions telles que bon et mauvais, pur et impur, être et non-être
naissent de la conscience mentale, tandis que la nature du tréfonds
dépasse toutes ces notions. La conscience mentale joue le rôle du
jardinier qui sème (imprègne) les semences. Les semences
nécessaires à la vie (comme les graines de riz) sont semées par la
conscience mentale et sont qualifiées de positives. Les graines qui
ne sont pas nécessaires à la vie (comme les mauvaises herbes) ne
sont pas semées par la conscience mentale et sont qualifiées de
négatives. C’est également la définition du bien et du mal
donnée dans le volume III du Vijñaptimātratāsiddhi où la nature
neutre est expliquée. La troisième caractéristique des semences
doit être décrite comme neutre et non comme déterminée. Les
semences étant neutres, sont biologiques et peuvent, sur le plan de
la vérité conventionnelle, devenir bonnes ou mauvaises.
C'est donc la conscience mentale qui rend les semences bénéfiques ou ou non bénéfiques...? mais je ne comprend toujours pas que les graines de colère, de dépression, ou de joie, de compassion que nous avons toutes et tous dans notre tréfonds, soient neutres ? que ces 3 poisons fondamentaux de notre esprit que sont l’ignorance, l'avidité et l'aversion soient neutres?
Voila donc pour la 1ere partie de cet enseignement et les questions que je me pose. Peut être y trouverais je la réponse dans la suite de cet enseignement?