L'article complet que je viens de découvrir à quelques jours de la Toussaint (est ce un hasard?) est ici
De
l’Asie centrale et de la Perse, la biographie du Bouddha pénètrera plus
tard le monde arabe et parvient finalement aux bords de la
Méditerranée : une bibliographie d’origine arabe nous apprend que, dans
la seconde moitié du VIIIe s., au sein de la communauté des ismaélites
de Syrie, des textes persans sont traduits, d’abord en syrien puis en
arabe, sous le nom de « Livre de Bilawhar et Yûdâsaf » (Kitab Bilawhar wa-Yudasaf).
Les musulmans, peu sensibles aux vertus ascétiques, restent assez
proches de leurs modèles perses et ne font que retranscrire les textes
en y ajoutant quelques remarques d’ordre monothéiste qui n’altèrent pas
le récit même de la vie du Bouddha.
ci-dessus, gravure de Jacques Callot [1630] représentant le saint ermite Barlaam et son disciple le saint prince Josaphat |
Histoire de Bilawhar et Yûdâsaf
Il
y a bien longtemps, en Inde, vivait un roi du nom d’Abénès. Païen,
serviteur d’idoles, il se désespérait de n’avoir pas de fils pour lui
succéder quand naquit enfin un garçon, qu’il nomma Yûdâsaf. Mais un sage
devin lui annonça que ce dernier ne régnerait pas sur le royaume de son
père parce qu’il deviendrait « un grand guide sur la voie de la
vérité ».
Le roi, mécontent, fit chasser les hommes de dieu de son royaume et décida d’enfermer son fils dans un palais splendide, à l'abri du spectacle des misères de ce monde. Il était interdit de lui parler « de mort, de vieillesse, d'infirmité, de pauvreté » et, si un serviteur tombait malade, on le chassait et on le remplaçait par un bien portant.
Yûdâsaf, devenu adulte, se plaignit de sa réclusion. Son père organisa alors ses sorties de façon que rien de déplaisant ou de triste ne puisse être vu par le prince. Mais, bien évidemment, un jour, le prince fit la rencontre d'un lépreux et d'un aveugle, qui lui révélèrent l'existence de la maladie, puis celle d'un vieillard ridé, courbé et édenté, qui lui apprit la vieillesse. Ses serviteurs, intérrogés, finirent par lui faire comprendre, aussi, ce qu'était la mort. Ces révélations lui donnèrent à penser...
Le roi, mécontent, fit chasser les hommes de dieu de son royaume et décida d’enfermer son fils dans un palais splendide, à l'abri du spectacle des misères de ce monde. Il était interdit de lui parler « de mort, de vieillesse, d'infirmité, de pauvreté » et, si un serviteur tombait malade, on le chassait et on le remplaçait par un bien portant.
Yûdâsaf, devenu adulte, se plaignit de sa réclusion. Son père organisa alors ses sorties de façon que rien de déplaisant ou de triste ne puisse être vu par le prince. Mais, bien évidemment, un jour, le prince fit la rencontre d'un lépreux et d'un aveugle, qui lui révélèrent l'existence de la maladie, puis celle d'un vieillard ridé, courbé et édenté, qui lui apprit la vieillesse. Ses serviteurs, intérrogés, finirent par lui faire comprendre, aussi, ce qu'était la mort. Ces révélations lui donnèrent à penser...
Manuscrit médiéval représentant Josaphat, hors du palais d'où son père l'observe,
lors de sa rencontre avec un lépreux et un aveugle. |
C'est
alors que Bilawhar, un sage moine (monothéiste !) qui vivait dans le
désert, eut l'intuition de ce que devait devenir Yûdâsaf. Il quitta son
refuge et arriva en ville. Ayant rencontré le prince, il l’instruisit à
l’aide de plusieurs paraboles. Certaines d’entre elles ne manqueront pas
d’évoquer quelques souvenirs aux bouddhistes, comme, par exemple, cet
enseignement sur l’existence comme illusion et les dangers des plaisirs
sensuels...
« Ceux
qui convoitent les délectations corporelles et qui laissent mourir leur
âme de faim ressemblent à un homme qui s'enfuirait au plus vite devant
une licorne qui va le dévorer, et qui tombe dans un abîme profond. Or,
en tombant, il a saisi avec les mains un arbrisseau et il a posé les
pieds sur un endroit glissant et friable ; il voit deux rats, l'un blanc
et l'autre noir, occupés à ronger sans cesse la racine de l'arbuste
qu'il a saisi, et bientôt, ils l'auront coupée. Au fond du gouffre, il
aperçoit un dragon terrible vomissant des flammes et ouvrant la gueule
pour le dévorer ; sur place où il a mis les pieds, il distingue quatre
aspics qui montrent tête. Mais, en levant les yeux, il voit un peu de
miel qui coule des branches de cet arbuste ; alors il oublie le danger
auquel il se trouve exposé, et se livre tout entier au plaisir de goûter
ce peu de miel.
La licorne est la figure de la mort, qui poursuit l'homme sans cesse et qui aspire à le prendre ; l'abîme, c'est le monde avec tous les maux dont il est plein. L'arbuste, c'est la vie d'un chacun qui est rongée sans arrêt par toutes les heures du jour et de la nuit, comme par les rats noir et blanc, et qui va être coupée. La place où sont les quatre aspics, c'est le corps composé de quatre éléments, dont les désordres amènent la dissolution de ce corps. Le dragon terrible est la gueule de l'enfer, qui convoite de dévorer tous les hommes. Le miel du rameau, c'est le plaisir trompeur du monde, par lequel l'homme se laisse séduire, et qui lui cache provisoirement le péril qui l'environne. »
La licorne est la figure de la mort, qui poursuit l'homme sans cesse et qui aspire à le prendre ; l'abîme, c'est le monde avec tous les maux dont il est plein. L'arbuste, c'est la vie d'un chacun qui est rongée sans arrêt par toutes les heures du jour et de la nuit, comme par les rats noir et blanc, et qui va être coupée. La place où sont les quatre aspics, c'est le corps composé de quatre éléments, dont les désordres amènent la dissolution de ce corps. Le dragon terrible est la gueule de l'enfer, qui convoite de dévorer tous les hommes. Le miel du rameau, c'est le plaisir trompeur du monde, par lequel l'homme se laisse séduire, et qui lui cache provisoirement le péril qui l'environne. »
Cette parabole - la plus célèbre de la légende - connut de très nombreuses
représentations dans l'art occidental, au Moyen-Age et à la Renaissance.
En voici quelques exemples :
représentations dans l'art occidental, au Moyen-Age et à la Renaissance.
En voici quelques exemples :
à gauche : deux enluminures
de manuscrits médiévaux rapportant la légende de Barlaam et Josaphat
ci-dessus : gravure de Boetius Adam Bolswert
[1580-1634] |
|
La figure centrale du tympan du portail sud du baptistère de Parme (Italie)
oeuvre du sculpteur Benedetto Antelami XIIIe s |
Tout
l'enseignement de Bilawhar repose sur l'opposition entre Réalité et
Illusion. Suit une autre parabole qui illustre la façon de se forger un
bon « karma » ! Bilawhar évoque ce qui importe et que l'on néglige, ou
plutôt : ce que l'on néglige ordinairement et qui importera en fin de
compte.
« Celui
qui aime le monde est semblable à celui qui a trois amis. L'un qu'il
aime plus que lui-même, l'autre autant que lui-même et le dernier moins
que lui-même. Il est un jour convoqué par le roi et se sent en grand
danger d'être jugé. Il se précipite chez son premier ami qui lui dit
être trop occupé mais lui offre quelques tissus afin de se faire un
vêtement. Il va ensuite voir le deuxième ami, qui lui dit avoir lui-même
beaucoup de soucis mais qui accepte de l'accompagner jusqu'à la porte
du palais. En désespoir de cause, il se rend chez son troisième ami. Il
lui fait des excuses et implore son aide. Ce dernier lui fait bon
accueil, l'appelle son ami très cher et lui rappelle qu'il lui a rendu
de menus services dont il est très reconnaissant. Non seulement il
l'accompagnera jusqu'au palais mais il plaidera en sa faveur. Le premier
ami est la possession des richesses de ce monde qui ne peut offrir rien
d'autre qu'un linceul au seuil de la mort, le second représente la
famille et les amis, eux-mêmes pris par leurs propres tourments, ils
peuvent seulement accompagner l'homme jusqu'au bout de sa vie. Le
troisième représente les bonnes oeuvres qui témoigneront pour lui, lors
du jugement. »
Suivent
encore d’autres paraboles pour montrer que les véritables richesses ne
sont pas matérielles puis Bilawhar quitte Yûdâsaf, lui expliquant qu'il
doit encore subir un temps d'épreuves avant de le rejoindre.
A
la suite de ces « Quatre rencontres », Yûdâsaf sera, en effet, soumis à
plusieurs épreuves car le Roi a remarqué des changements dans le
comportement de son fils et, après enquête, en est parvenu à la
conclusion qu’il a été converti. Il entend alors user de ruses diverses
pour le détourner de sa vocation : il organise tout d’abord un débat
d’ordre théologique, mais Yûdâsaf triomphe ! Puis il soumet son fils à
la tentation charnelle... celui-ci cède à moitié et, de son relâchement,
naîtra un futur héritier pourle trône. De joie, le roi se convertit…
Comme le Bouddha, après la naissance de son fils Rahula, demeuré au palais, Yûdâsaf n’en continue pas moins de nourrir en secret le désir de quitter le monde et de vivre à son tour une vie d’ascèse, telle celle que lui a vanté le saint Bilawhar. Un ange bientôt lui apparaît qui l’incite à prendre la fuite… Le prince s’échappe alors : c’est le « Grand Départ » !
Quittant ses habits de prince, Yûdâsaf les échange avec ceux d’un mendiant et il mène alors enfin la vie d’ascète dont il rêvait. Durant quelques années de solitude « au désert », il est initié à la « science du grand Tout », puis revient dans son royaume, en convertit toute la population, console son père sur son lit de mort, désigne comme régent le tuteur de son fils et s’en repart définitivement mener sa vie...
Comme le Bouddha, après la naissance de son fils Rahula, demeuré au palais, Yûdâsaf n’en continue pas moins de nourrir en secret le désir de quitter le monde et de vivre à son tour une vie d’ascèse, telle celle que lui a vanté le saint Bilawhar. Un ange bientôt lui apparaît qui l’incite à prendre la fuite… Le prince s’échappe alors : c’est le « Grand Départ » !
Quittant ses habits de prince, Yûdâsaf les échange avec ceux d’un mendiant et il mène alors enfin la vie d’ascète dont il rêvait. Durant quelques années de solitude « au désert », il est initié à la « science du grand Tout », puis revient dans son royaume, en convertit toute la population, console son père sur son lit de mort, désigne comme régent le tuteur de son fils et s’en repart définitivement mener sa vie...
deux enluminures du XVe siècle représentant :
à gauche - lamentations de Josaphat retenu au palais
à droite - le départ de Josaphat ; il retire ses vêtements (en haut à droite)
à gauche - lamentations de Josaphat retenu au palais
à droite - le départ de Josaphat ; il retire ses vêtements (en haut à droite)
On
aura reconnu là les principaux épisodes de la vie du Bouddha, jusqu’à
son retour dans sa ville natale de Kapilavastu, à l’occasion duquel il
convertit lui aussi nombre de ses anciens compatriotes, qui deviennent
bhikkhu à sa suite… y compris son fils Rahula – ce que les arabes, et
leurs prédécesseurs perses, semblent ignorer ! Même l’intervention d’un
ange, pour inciter Yûdâsaf à quitter le palais paternel, ne semble pas
un anachronisme musulman, car bien des versions bouddhiques évoquent
l’intervention des dieux à cette occasion, qui iront jusqu’à soutenir
les sabots du cheval du prince pour lui éviter de réveiller les
habitants du palais pensant sa fuite.
Ces textes arabes seront eux-mêmes à l’origine de plusieurs récits écrits en géorgien.
Comment Bouddha devient saint Josaphat...
Située
sur la frontière de l’Europe et de l’Asie, entre Mer Noire et Mer
Caspienne, la Géorgie est l'une des premières nations à avoir adopté la
religion chrétienne comme religion officielle, au début du IVe s. de
notre ère, et c’est bien sur ces terres que l’histoire du Bouddha
commence à devenir chrétienne !...
On connaît trois rédactions géorgiennes différentes de l’histoire, dont les personnages s’appellent désormais Balahwar et Iodasaph. Une version « longue », qui nous est conservée dans un manuscrit datant du XIe s., une version « courte », dont le plus ancien manuscrit date du XIIe s., ainsi qu’une version encore plus ancienne, du IXe s., très proche encore des textes arabes et, donc, fort peu christianisée.
On connaît trois rédactions géorgiennes différentes de l’histoire, dont les personnages s’appellent désormais Balahwar et Iodasaph. Une version « longue », qui nous est conservée dans un manuscrit datant du XIe s., une version « courte », dont le plus ancien manuscrit date du XIIe s., ainsi qu’une version encore plus ancienne, du IXe s., très proche encore des textes arabes et, donc, fort peu christianisée.
Les
chrétiens, beaucoup plus que les musulmans, seront particulièrement
sensibles aux éloges de l’ascétisme contenus dans le récit… Le
monachisme est alors considéré, en chrétienté, comme la meilleure
manière de vivre en imitation de Jésus et la vie du Bouddha –
christianisée – deviendra une sorte de modèle de cette vocation : appel
irrésistible malgré l’éducation reçue et les efforts de la famille pour
en écarter, recherche de l’absolu dans la solitude, résistance aux
épreuves et à la tentation - notamment de la chair ! Car quelques
« entorses » par rapport à la légende initiale apparaissent et,
innovation totalement chrétienne, Iodasaph résiste aux femmes
tentatrices que son père lui envoie et il quittera le palais sans avoir
connu d’épouse ni donné d’héritier au royaume qu’il abandonne...
Désormais
entrée en territoire chrétien, l’histoire du Buddha va connaître encore
de multiples traductions et adaptations successives.
Dans la seconde moitié du Xe siècle, Euthyme, un célèbre moine-traducteur géorgien résidant au monastère Iviron du mont Athos, en Grêce, effectue la première traduction en grec (Iodasaph devient Ioasaph) du récit géorgien. Cette version nous est connue par un manuscrit datant de 1021. Elle-même donnera naissance à plusieurs autres traductions : en arménien, en slave et en latin (langue dans laquelle Ioasaph devient Iosaphat ou Josaphat, puisqu’on ne fait pas de différence graphique entre "i" et "j" en latin).
Aux alentours de 1047-1048, un moine « voyageur » se rend à Constantinople où, rapporte-t-il lui-même, une « ardente curiosité [l]’entraîna parmi les livres grecs où [il] souhaitai[t] faire quelque découverte mémorable » ! Un homme survint, appelé Léon, qui lui remit un livre.
Dans la seconde moitié du Xe siècle, Euthyme, un célèbre moine-traducteur géorgien résidant au monastère Iviron du mont Athos, en Grêce, effectue la première traduction en grec (Iodasaph devient Ioasaph) du récit géorgien. Cette version nous est connue par un manuscrit datant de 1021. Elle-même donnera naissance à plusieurs autres traductions : en arménien, en slave et en latin (langue dans laquelle Ioasaph devient Iosaphat ou Josaphat, puisqu’on ne fait pas de différence graphique entre "i" et "j" en latin).
Aux alentours de 1047-1048, un moine « voyageur » se rend à Constantinople où, rapporte-t-il lui-même, une « ardente curiosité [l]’entraîna parmi les livres grecs où [il] souhaitai[t] faire quelque découverte mémorable » ! Un homme survint, appelé Léon, qui lui remit un livre.
« Cet
homme me pria, au nom de l’amour de Dieu et de la vénération due à la
mémoire du bienheureux Barlaam, de traduire du grec en latin, en une
langue accessible, cette œuvre de l’Antiquité, inconnue, qui jamais
jusqu’alors n’avait été traduite et était ensevelie dans le plus profond
oubli. […] Je m’engageai à la traduire mot à mot et fidèlement, à la
manière des Anciens, puis je m’appliquai à en accentuer la portée là où
je le crus à propos, fut-ce au prix de quelques changements, afin de
rendre ma version plus attrayante pour le lecteur de bonne foi… ».
C’est
cette version latine qui se répandra par la suite dans toute la
chrétienté occidentale. L’incroyable succès de ce récit est certainement
dû à l’œuvre de Jacques de Voragine, théologien dominicain, archevêque
de Gênes, qui vécut de 1225 à 1298 et qui rédigea, vers 1264, la très
célèbre « Légende Dorée », recueil de « Vies des Saints » qui connut un
succès considérable ! La version qu’il y donna de la vie de saint
Barlaam et saint Josaphat devint un « best seller » du Moyen-Age… On en
possède encore aujourd’hui de multiples versions, en vers et en prose,
ainsi que des adaptations scéniques, dans quasiment toutes les langues
européennes : français, italien, espagnol, provençal, portugais,
irlandais, allemand, anglais, néerlandais, norvégien et suédois !...http://www.bouddhisme-universite.org/St-Josaphat
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