une réflexion approfondie, ( une méditation) sur le bouddhisme ce qu'il est
et ce qu'il devrait être
et ce qu'il devrait être
Le 28 octobre 2007
Chaque matin, je regarde un certain nombre de sites d’informations sur Internet ; regardant ce qui se passe, je ressens encore plus fortement la vérité des paroles du Bouddha : « Le monde est enraciné sur la souffrance. »Presque chaque jour, je suis effrayé par l’énorme souffrance qui assaille les êtres humains sur chaque continent, et plus encore par cette terrible vérité que cette souffrance , pour sa plus grande part, ne naît pas des vicissitudes d’une nature impersonnelle, mais des feux de l’avidité, de la haine et de l’illusion qui brûlent au coeur des hommes.
L’immensité de l’angoisse du monde a fait naître dans mon esprit des questions sur les perspectives du bouddhisme en occident. J’ai été frappé par combien rarement ce thème de la souffrance globale - la souffrance palpable des êtres humains- est exploré dans les revues bouddhistes ou dans les enseignements que je connais. Il me semble que le bouddhisme en occident tend à demeurer dans un espace cognitif qui définit la première des Quatre Nobles Vérités tout à fait en relation avec un arrière-plan de notre style de vie de classe moyenne : le mécontentement harcelant, l’ennui du trop-plein,la douleur de relations insatisfaisantes, ou, avec un salut vers les Enseignements, la ronde des renaissances. Trop souvent, me semble-t-il, l’accent que nous mettons sur ces aspects de dukkha nous rend oublieux de la souffrance catastrophique qui engloutit chaque jour près des trois quarts de la population mondiale.
On peut trouver une exception à cette tendance dans le mouvement « Un bouddhisme engagé » (Engaged Buddhist movement). Je crois que cela est très prometteur, mais de mes lectures – superficielles- j’ai été frappé par deux choses : d’une part alors que certains Bouddhistes Engagés recherchent de nouvelles perspectives à l’aide du Dharma, pour beaucoup le bouddhisme n’est que l’occasion d’une pratique spirituelle à utiliser tout en épousant simultanément des causes socio-politiques pas très différentes de celles de la gauche en général. Deuxièmement, ce courant de Bouddhisme Engagé reste très secondaire par rapport au centre de l’intérêt du bouddhisme en occident, qui est le Dharma comme chemin vers la paix intérieure et la réalisation personnelle.
Si le Bouddhisme à l’Ouest n’est plus qu’un moyen de poursuivre une croissance spirituelle personnelle, j’ai peur qu’il n’évolue en ne présentant que la moitié de son potentiel. Attirant les personnes aisées et éduquées, il sera un foyer généreux pour l’élite intellectuelle et culturelle, mais il risque de transformer la quête de l’éveil en un voyage privé qui, face à l’immense souffrance qui assaille quotidiennement la majorité des êtres humains, ne peut présenter qu’un quiétisme résigné.
Il est vrai que la pratique de la méditation bouddhiste demande un retrait et une focalisation vers l’intérieur ; mais la mise en pratique du Dharma dans le monde ne serait-elle pas plus complète en allant aussi vers l’extérieur et en s’adressant aussi aux misères grinçantes qui affectent l’humanité ?
Je sais que nous nous engageons dans de nobles méditations sur la compassion, qui épousent les idéaux de paix et d’amour. Mais notez que nous les poursuivons surtout comme des expériences intérieures, subjectives tournées vers la transformation personnelle. Trop rarement ce type de compassion va-t-il remonter ses manches et aller au charbon. Trop rarement se traduit-il en programme pratique pour des actions efficaces avec des buts réalistes visant à diminuer la souffrance réelle de ceux qui souffrent des catastrophes naturelles ou sociales.
Par contraste, prenez Christian Aid et World Vision : ce ne sont pas des mouvements missionnaires désireux de faire du prosélytisme mais des organisations qui apportent soulagement et aide au développement tout en s’attaquant aussi aux causes de la pauvreté et de l’injustice. De même, l’American Jewish World Service ne cherche pas à convertir les gens au judaïsme, mais à exprimer l’engagement juif à la justice sociale en allégeant : « la pauvreté, la faim, et la maladie, parmi les peuples en développement, sans considération de race, de religion ou de nationalité. »
Pourquoi le Bouddhisme n’a-t-il rien de semblable ? [1] Nous pouvons certainement trouver un cadre pour cela dans le Bouddhisme, dans sa doctrine, ses idéaux éthiques, ses archétypes, ses légendes, et ses précédents historiques.
Je reconnais que beaucoup de bouddhistes sont engagés individuellement dans le social et qu’un petit nombre de grandes organisations bouddhistes travaillent sans relâche à travers le monde pour soulager la souffrance humaine. Leur dévouement mérite totalement notre estime ; malheureusement, jusqu’à présent, ces groupes n’attirent que peu de personnes.
Les enseignants bouddhistes disent souvent que le moyen le plus efficace de protéger le monde est de purifier nos propres esprits, ou bien qu’avant de s’engager dans une action compassionnée nous devons atteindre la réalisation du non-ego ou de la vacuité. Il y a sans doute du vrai dans ces enseignements, mais je pense que ce n’est qu’une vérité partielle. En ces temps difficiles, nous avons aussi l’obligation d’aider ceux qui sont immergés dans le monde, et qui vivent au bord du désespoir et de la misère. La mission du Bouddha, la raison de son apparition dans la monde, était de libérer les êtres de la souffrance en déracinant les racines du mal que sont l’avidité, la haine et l’ignorance. Ces racines sinistres n’existent pas que dans notre esprit. Elles ont pris aujourd’hui une dimension collective et se sont étendues sur des pays et des continents entiers. Aider les êtres à se libérer de la souffrance aujourd’hui demande que nous allions à l’encontre des personnifications et des systèmes contemporains.
A chaque période historique, le Dharma trouve de nouveaux moyens pour développer son potentiel, de façon directement liée aux conditions historiques de cette ère. Il me semble que notre ère offre le cadre historique approprié pour que la vérité transcendante du Dharma se retourne vers le monde et s’adresse à la souffrance humaine à tous niveaux – même les niveaux les plus bas, les plus durs ou dégradants – pas seulement à travers la contemplation mais aussi à travers des actions efficaces, qui apportent le soulagement tout en étant illuminées par leur fin qui est au-delà du monde. Le défi spécial qu’affronte le bouddhisme aujourd’hui est de se lever pour être l’avocat de la justice dans le monde, une voix de la conscience pour les victimes d l’injustice sociale, politique et économique qui ne peuvent se lever et parler pour elles-mêmes. Ceci, selon moi, est le défi profondément moral marquant le moment critique dans l’expression moderne du Bouddhisme. Je crois aussi que ce défi montre la direction que doit prendre le Bouddhisme s’il veut partager la mission du Bouddha avec toute l’humanité. Bikkhu Bodhi
Bikkhu Bodhi , un moine occidental du Theravada, a traduit plusieurs ouvrages importants du Canon Pâli. Il a été ordonné à Sri Lanka, où il a vécu plus de vingt ans. Il réside maintenant au Chuang Yen Monastery, à Carmel, Etat de New York.
Post-Scriptum :
Commentaires de Joshin Sensei : Beaucoup de personnes viennent au Dharma par découragement des engagements politiques ou sociaux. Désir d’agir seul, en dehors de groupes constitués ; nécessité- vraie- de commencer par soi ; difficulté de changer nos présupposés, forgés au cours de notre vie, et renforcés quotidiennement par radio, télé, journaux, etc : flemme de chercher une nouvelle façon de regarder et comprendre le monde à partir du Dharma ; refus de « se salir les mains », désir de trouver une pratique « pure », qui ne serait pas touchée par le monde -sale- ; repli égoïste, encouragé par l’accent mis sur « la quête de la sérénité »de notre société, et méconnaissance totale du rôle du Bouddhisme à travers l’espace et les âges ( En Chine comme au Japon, les moines creusaient pour faire apparaître des sources, ou drainaient pour mettre de nouvelles terres en culture, connaissaient les herbes pour s’occuper des malades, etc ; ils ont eu un rôle social important à côté de leur rôle spirituel. Voir aussi par ex. un très beau livre sur la Thailande « Sons of the Buddha, the Early lives of Three Extraordinary Zen Masters », qui nous montre le travail social, médical, culturel des moines et des temples en Thailande jusqu’aux années soixante) . Enfin, s’il a toujours existé, dans toutes les traditions bouddhistes, des ermites retirés du monde, vivant en méditation, ce n’était pas pour une recherche personnelle d’une paix intérieure confortable, mais pour atteindre l’Eveil complet afin de pouvoir aider tous les êtres. L’accent mis à présent sur la pratique personnelle n’est que le reflet d’une société marchande ; nous apportons dans notre pratique spirituelle le même individualisme et la même recherche du plaisir que dans nos activités de loisirs !
Ne critiquons donc pas les Enseignements pour ce qu’ils ne donneraient pas : ce ne sont pas les Enseignements qui sont en cause, mais ce que nous en faisons.
Notes :
[1] Il y a dans l’école Soto un département d’aide sociale et humanitaire ; mais je dois reconnaître qu’on n’en entend pas beaucoup parler dans le bulletin de l’école.
http://www.larbredeleveil.org/lademeure/
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