2 grands sages de notre époque, dans une des rares bonnes emissions de télé de France 2... (suite)
Sagesses Bouddhistes du 17 février 2008 « Les traditions religieux évoquent-elles des solutions , appréhendent-elles le futur, la spiritualité peut-elle être au centre des débats concernant ces questions de grandes importances - Quelles actions peuvent être menées conjointement pour la préservation des ressources de la planète, pour un partage équitable et pour un développement durable - »
Emission Sagesses Bouddhistes du 17 février 2008
Ecologie et spiritualité, regards croisés, 2ème partie
http://www.bouddhisme-france.org/voix_bouddhistes/detail_des_emissions/080217.htm
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EXTRAITS DE L'EMISSION
Sandrine Colombo : La semaine dernière, nous parlions des liens intrinsèques qui unissent les hommes à la nature, les rapports évidents qui lient la méditation à la préservation du vivant. Aujourd’hui, nous allons voir quelles sont les actions à mener, étudier ce que peuvent les hommes pour la nature, grâce à leur force de conviction et à leur travail. Nous retrouvons donc nos deux invités : Lama Denys, Supérieur de la congrégation Dachang Rimay et de l’Institut Karma Ling, à Arvillard en Savoie. Et M. Pierre Rabhi, écrivain et penseur, agroécologue , Il a été reconnu expert international pour la sécurité alimentaire. Il est l’un des pionniers de l’agriculture biologique et inventeur du concept « oasis en tous lieux ». Il réside en Ardéche. Vous êtes très actifs, l’un et l’autre dans vos régions à faire part de vos soucis pour l’écologie et la préservation du vivant. Lama Denys, comment sensibilisez-vous à la nature les gens qui viennent dans votre institut Karmaling ?
Lama Denys : Vous le disiez à l’instant : nous organisons des rencontres, des réflexions, non seulement des rencontres inter-traditions, mais des rencontres écologie-spiritualité. Une rencontre importante a eu lieu en 2004, d’autres ont suivi. Nous développons aussi le lieu, le centre du Dharma comme un « écosite », c'est-à-dire un lieu, un site qui vit dans l’harmonie avec la nature. C’est un écosite pionnier et en même temps pédagogique, de telle sorte que les personnes qui viennent puissent être sensibilisées et pratiquer l’attention de la méditation aux faits et gestes quotidiens, dans cette intelligence globale de non-violence, eu égard à soi, aux autres et à l’environnement.
S.C. : C’est une expérience qui s’adresse à tous ceux qui viennent dans votre institut ?
Lama Denys : et qui fonctionne naturellement vu que c’est le mode de vie du lieu. C’est une alimentation végétarienne, biologique, de proximité, autant que faire se peut, et saisonnière aussi, dans le respect des équilibres, de l’harmonie, d’un temps saisonnier. Le fait de vivre ainsi permet de se sensibiliser, d’apprendre à être attentif aux petites choses, qui font la différence, car c’est en commençant par soi et par l’exemple qu’on peut donner, que l’on peut conduire une transformation globale.
S.C. : Pierre Rabhi, vous aussi êtes très actif. Vous avez récemment créé une association « Terre et Humanisme » et vous avez même été, il y quelques années, candidat à la Présidence de la République pour essayer de faire bouger les choses. Où en êtes vous aujourd’hui ?
Pierre Rabhi : Il y a un préalable malheureusement. Tant que l’humanité considérera la planète comme un gisement de ressources qu’il faut transformer en dollars, ça ne bougera pas. Donc, le préalable, c’est le changement de vision. Et le fondement de notre travail, c’est d’ouvrir une porte, disons de la méditation, à travers le concret. Nous avons parlé de graine. C’est vrai. Dans une graine, aussi infime soit-elle, il y a l’intelligence de la vie. La graine est intelligente. D’où tient-elle cette intelligence ? De l’intelligence universelle forcément. Cette symphonie universelle, dans laquelle l’être humain s’acharne à jouer une fausse note.Bien sûr, on ne se contente pas de proclamations. Nous menons des actions et ces actions reposent sur deux mouvements créés afin de relier la terre et l’humanisme dont l’une des caractéristique fondamentale est « l’agroécologie. ». Elle a pour fonction de répondre aux besoins légitimes de se nourrir des populations, mais elle part du postulat qu’on peut parfaitement avoir ce rapport à la nature et se nourrir grâce aux ressources de la nature, sans pour autant la dégrader. Je dirais même qu’on a fait des expériences de régénérer les sols, dans le pays sahélien par exemple. Des sols morts, on en a fait des sols vivants. Pourquoi ? Parce que nous nous sommes inspirés des lois de la nature.
S.C. : Parlons des méthodes. Lama Denys, bouddhistes n’ont-ils pas un rôle à jouer, eux qui pratiquent, qui cherchent à éveiller quelque chose en eux ? Est-ce qu’on pourrait essayer de s’inspirer d’une méthode bouddhiste pour éveiller à la nature ?
Lama Denys : Oui, pour changer de mentalité, pour essayer de changer de vision, de repères, pour s’entraîner à opérer une conversion d’une attitude égocentrique prédatrice, destructrice, à une attitude de respect, d’intelligence d’une interdépendance, d’une harmonie. Aujourd’hui en Occident, le bouddhisme est approché d’une façon légèrement différente de ce qu’elle était en Orient. Les tibétains étaient naturellement en harmonie avec la nature. Ils n’avaient pas d’électricité, ils ne faisaient pas d’extraction minière. Aujourd’hui, il y a besoin de bien utiliser la pratique de l’attention et de la non violence. La pratique méditative est le moyen. Et beaucoup pourrait être fait en sachant l’utiliser.
S.C. : Certaines traditions bouddhistes préconisent aussi d’être végétarien. Est-ce que ce serait une piste à explorer ?
Lama Denys : Il y a de nombreuses pistes à explorer. Le fait d’être végétarien ou de réduire sa consommation de viande, oui. Par rapport aux protéines…je laisse le soin à Pierre Rabhi d’en parler.
Pierre Rabhi : Quand on parle de protéines, on pense à l’alimentation des pays riches, des pays prospères, même les pays émergents sont en train de suivre le mouvement. C’est que, dès qu’on est riche, on veut consommer beaucoup plus de protéines animales, ce tout confondu, c'est-à-dire lait, beurre, fromage, bien sûr viande etc.. Cela nous fait rentrer dans une équation qui est lourde, parce qu’il faut à peu près dix protéines végétales parfois douze, selon les cas, pour produire une seule protéine animale. Ce qui veut dire que, quand on veut produire des protéines animales et on veut les produire dans un temps très court, dans le maximum de production, dans le minimum de temps, et le minimum d’espace. Cela s’appelle le « hors-sol ». Et le hors-sol amène une alimentation dite « concentrée ». A tel point que vous avez, par exemple, 50 % du territoire agricole occupé par la culture pour alimenter les animaux. Le maïs, par exemple, qui rentre beaucoup dans l’alimentation concentrée, nécessite 400 litres d’eau par kilo de grains, ce qui fait que la consommation en eau est considérable. Sans compter les effets collatéraux, qui sont les nuisances dues aux substances chimiques.
S.C. : Pour s’inspirer aussi du modèle bouddhiste, pratiquer, c’est tendre vers la modération et la modération, Pierre Rabhi, c’est aussi une piste à suivre ?
Pierre Rabhi : La modération est absolument indispensable, à partir du moment où l’on est conscient que notre planète ne peut pas reproduire les ressources au rythme où les prélève 20% à 30% de l’humanité, laissant de côté 70 % de l’humanité dans l’indigence. Donc la modération va de soi. J’appelle ça la « sobriété heureuse ». C’est trouver l’équilibre entre être et avoir. Avoir, certes, parce que c’est indispensable et légitime. Mais aussi avoir le temps d’être et je crois que cette modération porte en elle-même un certain bonheur.
S.C. : Lama Denys, vous recommandez aussi la modération ?
Lama Denys : Découvrir et pratiquez le bonheur de la simplicité. La modération heureuse, plus de bonheur et moins d’avidité. Une modération heureuse, c’est ce que nous enseigne le Bouddha depuis bien longtemps.
S.C. : C’est ce que l’on peut recommander aux pays riches, aux gens qui vivent dans l’opulence. Mais que dire aux plus pauvres, qui n’ont même pas accès au surplus ?
Pierre Rabhi : C’est le grand drame de la société actuelle globale, humaine non évoluée. L’excès des uns se traduit par l’appauvrissement des autres. Il y a donc nécessité de revenir à une équité dans le partage des ressources planétaires et que ces ressources soient considérées vraiment comme le bien collectif de l’humanité. La forêt Amazonienne par exemple ne doit pas appartenir au Brésil, elle doit appartenir à l’humanité. Comme toutes les ressources qui sont des ressources vitales, devraient être inscrites comme les ressources que l’humanité toute entière doit gérer, d’abord pour le bien d’aujourd’hui et aussi pour les générations futures, auxquelles nous sommes en train de rendre la vie future absolument impossible.
S.C. : vous qui oeuvrez depuis très longtemps dans ces domaines, avez-vous vu les choses un peu bouger, Lama Denys ?
Lama Denys : La sensibilité par rapport au désastre, oui. Tout le monde en parle. Mais l’action concrète pour un changement véritable, il y a encore beaucoup à faire et je pense qu’il est vraiment nécessaire de se mobiliser, car nous sommes dans une course contre la montre et il y a vraiment urgence.
S.C. : Et vous Pierre Rabhi, est ce que vous avez le sentiment d’être moins seul dans votre action ?
Pierre Rabhi : Comme cela fait plus de quarante cinq ans que je suis impliqué, j’ai le sentiment que cela ne va pas assez vite et que les évolutions négatives par contre vont très vite. Alors il y a le meilleur et le pire. Le problème aujourd’hui, c’est : est-ce que la fracture, si elle doit se produire, ne sera pas irréversible ? C’est pour cela que le temps nous est compté. On ne peut plus continuer à tergiverser, à faire des petites réparations. C’est dépassé. La question est tellement fondamentale que l’écologie doit être ainsi posée : Voulons nous vivre ou périr ? Si nous ne posons pas la question comme cela, on continuera à rafistoler notre modèle pour le faire absolument perdurer et plus il perdurera, plus il détruira.
S.C. : Que faire pour la jeunesse qui va hériter de notre planète ? Vous êtes en train de créer une branche du scoutisme, je crois ?
Lama Denys : Oui, les Eclaireurs de la nature. Et Pierre Rabhi a accepté d’être un membre du Comité des sages, de rapprocher une dimension spirituelle et une dimension de sensibilité à la nature. Pierre Rabhi dit souvent : « Quelle planète laisserons-nous à nos enfants et quels enfants laisserons-nous à la planète ? »
Pierre Rabhi : Bien entendu, ce sont les deux. Et pour ce qui nous concerne, nous sommes en train de mettre en place un « Mouvement International pour la Terre et l’humanisme », parce que l’écologie ne doit pas simplement rester dans le monde des phénomènes. Les jeunes aujourd’hui sont en attente de l’enthousiasme, c'est-à-dire le divin en soi, quelque chose qui crée à partir de l’intérieur. Et je pense qu’ils sont sensibles à cela et pas seulement à une écologie des phénomènes.
Lama Denys : Il n’y a pas d’écologie externe, sans écologie intérieure.
S.C. : Merci à tous deux d’avoir participé à cette émission.
Remerciements à Madame de Mareuil pour sa gracieuse et fidèle collaboration à la rédaction de la transcription de l'émission.
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