Petit retour malgré moi dans une actualité récente ... cette lettre me met du baume
au cœur car moi aussi j'en ai marre de tous ces débats et discussions
stériles avec toutes ces suppositions, prétage d'intention et tutti
quanti ... et me reconnais tout à fait dans cette article ...
Accepter, respecter et même aimer notre diversité.
LE BULLETIN DE LA DISCORDE
Je ne connais vraiment et personnellement que quelques centaines
d’entre vous, mais je suis convaincu que vous êtes, pour la plupart, des
personnes de bonne volonté qui veulent vraiment faire avancer les
choses (vers plus de liberté, d’égalité, de solidarité, c’est-à-dire
moins de misère, d’exploitation, de domination, de massacre….). Une
bonne partie d’entre vous désire même, avec moi, la destruction totale
du pouvoir et se donne des moyens divers et variés pour y parvenir.
Malheureusement, je vous vois régulièrement vous déchirer pour des
virgules et même me prendre à partie. Je sais bien que la question de
l’État ou du pouvoir n’a rien d’un détail, j’écris moi-même souvent à ce
sujet car il est pour moi essentiel, mais la probabilité d’une
destruction imminente de l’un ou de l’autre est, pour l’instant,
quasiment nulle du fait de l’imaginaire social complètement colonisé par
l’idéologie autoritaire, réactionnaire et sécuritaire. Par conséquent,
chacun de nous lutte à sa façon, là où il se trouve, avec les uns ou
avec les autres, en petits groupes ou dans des rassemblements plus
larges, selon les projets.
Vous l’avez sans doute remarqué, il m’arrive de défendre le droit de
certains d’entre nous d’utiliser l’illégalisme, la désobéissance civile
et même la violence insurrectionnelle, tout comme je défends le droit
des autres à la non-violence la plus impassible. Il en est de même
concernant le choix de voter ou de s’abstenir. Alors que vous luttez
ensemble dans bien des domaines (code du travail, sans-papiers,
violences policières, grands travaux inutiles, racisme, sexisme,
homophobie, etc.), vous recommencez à vous battre dès qu’approchent les
deux dimanches périodiques : deux dates qui sont absolument sans intérêt
pour les uns et qui paraissent très importantes pour les autres. Durant
ces semaines, plus rien n’a de sens que cela et vous en venez à jeter
aux orties toutes les complicités passées, victoires ou défaites, sous
prétexte d’une stratégie ponctuelle différente face à ce piège infernal
qu’est l’élection dans la pseudo démocratie représentative.
De part et d’autre, des arguments légitimes et respectables
Quand on examine vos arguments, ils sont de part et d’autre légitimes
et respectables : les uns refusent fort justement des règles du jeu
insupportables et les autres essaient malgré tout d’éviter le pire
(reculs sociaux et sociétaux, pertes de liberté ou encore menace
fasciste). Est-ce si grave ? Cela mérite-il de se déchirer ainsi, de
s’insulter, de se dénigrer ?
La différence la plus profonde entre nous et les fascistes justement,
c’est que nous refusons totalement le mythe de l’uniformité. Au
contraire, nous défendons tous, becs et ongles, non seulement le droit à
la diversité, mais aussi l’hypothèse qu’elle est une richesse pour
chacun comme pour le collectif. Mais alors, si tel est vraiment le cas,
pourquoi sommes-nous incapables de le prouver ? Ne pourrions-nous pas
cesser d’en vouloir à ceux qui dressent des barricades comme à ceux qui
n’en dressent pas, à ceux qui choisissent parfois de voter comme à ceux
qui s’y refusent absolument ? Pourquoi est-ce si difficile ?
Peut-être à cause de vieilles rengaines qui, de part et d’autres,
sont devenues des évidences, des dogmes, des interdits, dans un sens
comme dans l’autre. Au risque de choquer certains d’entre vous, je pense
pour ma part qu’il est tout aussi absurde d’accuser les
abstentionnistes de faire « le jeu du FN » que de déclarer, dans l’autre
sens, « Le criminel, c’est l’électeur ! » malgré toute l’estime que je
porte à l’œuvre et aux actes d’Albert Libertad, notamment la création
des « causeries populaires ».
De part et d’autre, des suspicions et des amalgames
Pire encore : il arrive souvent que mes compagnons libertaires
suspectent de basses intentions au service du capital chez mes camarades
de gauche et les caricaturent en petits bourgeois, tous dans le même
sac. Pas mieux du côté de mes camarades de gauche qui suspectent souvent
les abstentionnistes libertaires de servir le capital et qui croient
symétriquement que les anarchistes sont pour la plupart des petits
bourgeois intellos, des dandys du « je m’enfoutisme politique », à
l’abris dans leurs appartements confortables, lisant leurs bouquins
subversifs au chaud près de la cheminée, un chat noir sur les genoux.
Les suspicions et les amalgames sont innombrables, je ne les compte plus
depuis trente ans, de chaque côté, en discutant avec vous ou en prêtant
l’oreille aux rumeurs venimeuses. La même parano existe entre le
cortège de tête et le cortège syndical, entre les groupes les plus
déterminés et la queue de manif à poussettes. Mais franchement : qui
sait vraiment ce qu’il y a dans le porte-monnaie d’autrui et ce que fait
chacun, concrètement, toute la semaine, là où il se trouve ?
Et quand bien même ! Si, par un heureux hasard, nous avions tous
exactement le même niveau de revenus, il n’en reste pas moins que nous
ne sommes pas nés au même endroit ni au même moment, que nous n’avons
pas reçu la même éducation ni la même culture d’origine, que nous
n’avons pas traversé les mêmes accidents de la vie, fait les mêmes
rencontres, accumulé les mêmes expériences, lu les mêmes livres, vu les
même films. Il est donc logique que nous n’ayons ni les mêmes priorités
(sociales, écologiques, démocratiques, révolutionnaires…), ni les mêmes
préférences pour mener nos luttes ; des préférences qui évoluent parfois
au fil de la vie.
Alors, que faire ? Que faire de cette bonne volonté supposée et de cette diversité parmi nous ? Arrêter de nous tromper d’ennemis, dans un sens comme dans l’autre,
même si nos désaccords existent et ne sont pas anodins. Essayer
d’échanger opinions, arguments, idées et expériences concrètes. Discuter
sans consensus hypocrite ni dissensus dogmatique. Le but ? Mieux se
comprendre, apprendre les uns des autres et, au-delà, accepter,
respecter et même aimer notre diversité. Donner à réfléchir
mutuellement, mais sans être dédaigneux, hautain, pétri de certitudes.
Admettre qu’on a peut-être tort. Témoigner d’autres façons de faire*.
Inviter à réfléchir, à soutenir ici et là, à agir partout.
Tout au bout de l’utopie, un même désir
Ne plus nous donner en spectacle : pour
ne plus perdre notre temps et notre énergie, pour ne plus nous
discréditer mutuellement, pour ne plus décevoir et démotiver autour de
nous (nos déchirements sont l’une des causes majeures de la résignation
ambiante), et pour ne plus régaler nos pires ennemis qui s’amusent
également à nous diviser pour mieux régner. Ceux-là riront moins quand
ni un projectile dans une émeute, ni un bulletin dans une urne ne nous
diviseront plus face à eux. Quand nous nous rappellerons ce qui nous
rapproche, même au cœur d’une insurrection sociale, même pendant une
énième élection, nous occupant chacun de ce que nous savons faire, de ce
que nous voulons faire, sans nuire à ce que tentent nos voisins dans
l’épreuve.
Quand nous nous rappellerons qu’au bout du compte, tout au bout de
l’utopie, c’est le même désir de paix, de justice, de liberté, d’égalité
et d’amour qui nous anime.
Merci d’être différents.
A bas le capitalisme. A bas le fascisme. A bas toutes les formes de dominations.
Anarmicalement,
Yannis Youlountas
* Par exemple, en ce qui me concerne, j’essaie de témoigner et de
donner à réfléchir avec ce qui m’anime le plus : procédés coopératifs,
livres et films sans copyright, actions solidaires autogérées,
occupations et désobéissances diverses, autodéfense du quartier
d’Exarcheia ou de ZAD y compris sous des formes très radicales, soutien
aux compagnons emprisonnés, voyages à la rencontre de camarades parfois
très différents, invitation à changer de mode de vie, en particulier
d’alimentation et de vecteurs d’information, fiches de lectures,
découvertes artistiques, éducation anti-autoritaire, pédagogie Freinet,
philosophie avec les enfants, etc.
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